vendredi 17 novembre 2006

Subtilité et infanticide

C'était le 13 novembre et la mère d'Arnaud venait à Paris pour un colloque et allait dîner chez nous. Bien évidemment, vu la grande quantité de saucisse louisianaise que Robert Fleming m'avait donné la veille, ça allait figurer sur le menu. Mais nous avons pensé rester modeste pour ce qui était des vins.

Le matin, j’ai mis un chablis 2004 du Domaine Hamelin au frigo ; c’est un admirable chablis, jeune et friand. Quant au rouge, nous avons convenu de le choisir à la dernière minute, tout en sachant que Catherine aime les bordeaux, surtout les pessac-léognan.

Mais quand sa mère est arrivée, Arnaud a sans l’ombre d’une hésitation sorti des flûtes plutôt que des verres ; et c’est ainsi que j’ai appris qu’on allait plutôt commencer par une bouteille de champagne : un brut rosé de Bruno Paillard.

Léger, sec et discret, c’était un champagne rosé intéressant. Un petit goût floral et une nuance de pain grillé avec des bulles très fines ainsi qu’une pointe de fruits rouges comme la groseille. Ce vin était tout de tact et de précision. Aucune des notes de fraise compotée que j’ai tendance à associer au champagne rosé.

Après cela, nous nous sommes attablés devant la potée d’andouille louisianaise que j'avais concoctée et je partais vers la cuisine pour ouvrir le pessac-léognan que Catherine nous avait offert quand soudain, Arnaud m’a dit : "Attends, j’aimerais que ma mère goûte quelque chose... Est-ce que tu peux descendre à la cave...?"

La mère d'Arnaud est la fille d'un vigneron de Chinon et rien ne la fait sourire comme de découvrir un bon rouge de Loire. Arnaud m’a dit : "Nous avons bien une bouteille de Coteau de Noiré, non ?"

Oui, nous avions une bouteille du 2004. Point. Je l'ai regardé avec une petite grimace. "Tu es sûr?"

Mais déjà il expliquait à sa maman : "C’est un vin de Philippe Alliet, de Cravant-les-Coteaux... Oui, c’est ça, de la famille Alliet... le cousin de Bernard. Tu m’as dit que tu n’avais jamais goûté ses vins."

Donc je suis partie chercher la jeune bouteille.

Chinon "Coteau de Noiré" 2004 de Philippe Alliet.
Un vin très dense de cabernet franc à la robe foncée, violacée. Il y a tellement de matière, mais qui n’est pas encore fondue. Au nez on découvre des fruits noirs riches et opulents dans un boisé encore un peu prononcé. Il y a un air de famille avec les chinon, mais en bouche il s’avère trop compact ; j’ai du mal à démêler les composants de son goût. Ce vin évoluera très favorablement pour devenir un chinon élégant et long, mais pour l’instant, il n'a pas du tout atteint la maturité nécessaire à une certaine souplesse. C’était patent : nous avons tué cette bouteille dans sa jeunesse...

Catherine était étonnée. En levant le verre, elle a tout de suite dit que le nez, c’était du chinon sans hésitation, mais une fois qu’elle l’avait goûté, elle restait un peu perplexe. Le palais était très différent ; ce qui avait un nez de chinon se transformait en vin du Rhône, en bouche.

Je pense qu'elle aurait préféré un pessac-léognan, hélas !

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